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Débat sur l’assaut contre la Flottille de la liberté
Il y a 13 ans
À la base je voulais juste partager avec vous un débat très intéressant sur l’assaut contre la Flottille de la liberté mais en fouillant sur le net, je suis tombé sur l'article, de Bruno Roger-Petit (via lepost.fr), qui sert d'excellent accompagnement à la vidéo ci-dessous.


Le vif échange entre Elisabeth Lévy et Roland Dumas de l'autre soir, sur France 3, m'a plongé dans un océan de réflexion. Pour la deuxième fois en quelque semaines, Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères, a réussi à faire sortir de ses gonds l'un des représentants de cette France crispée sur son identité nationale et qui voit se manifester partout un gigantesque complot mondial « arabo-musulman-intégriste » qui a pour objectif de détruire le monde libre.

Avant hier donc, c'est à Elisabeth Levy qu'il a été contraint d'expliquer, sur le plateau de France 3, que le massacre d'innocents commis par la marine israélienne et les raisonnements destinés à justifier cette opération ressemblaient à s'y méprendre à ceux des dictatures de l'entre-deux-guerres, qui se trouvaient toujours de bonnes raisons d'intervenir ici où là au nom de leur sécurité.

Deux mois auparavant, c'est à Jean-François Copé qu'il avait dû expliquer (sur Canal Plus) que ses raisonnements destinés à justifier l'interdiction de porter tout voile ressemblaient à s'y méprendre à ceux des législateurs de Vichy.

Quand j'étais petit garçon, je me souviens d'un philosophe et journaliste qui s'appelait Jean-François Revel. Chaque année il publiait un livre pour nous expliquer que le monde libre n'allait pas tarder à être vaincu par le communisme et l'Union soviétique. Il avait chaque fois droit à son petit passage à "Apostrophes" (aujourd'hui, il irait chez Ruquier), et il annonçait notre prochaine réduction en esclavage communiste. Bien évidemment, il considérait que la victoire de la gauche en 1981 n'était qu'une étape sur le chemin de cet asservissement inéluctable, Mitterrand préparait (pauvre naîf!) l'accession de Georges Marchais (grand Machiavel moscoutaire!) au pouvoir suprême. « La Tentation totalitaire », « Comment les Démocraties finissent », « Ni Marx, ni Jésus », « le Terrorisme contre la Démocratie », « La grâce de l'Etat », tous ces titres, aujourd'hui oubliés, furent les livres de chevet de tous ceux qui étaient persuadés que les chars de l'Armée Rouge finiraient un jour place de la Concorde à Paris. Après l'avoir écouté à la télévision le vendredi soir, interrogé par Pivot, je jetais toujours un œil sous mon lit, avant de m'endormir, histoire de détecter la présence éventuelle d'un communiste aux aguets.

On sait ce que l'Histoire, tribunal du monde, a fait des prédictions reveliennes, mais la leçon de ce petit rappel ne se cantonne pas qu'à cette constatation.

De la même façon que les écrits de Revel servaient la droite des années 80 pour entretenir la peur des communistes et empêcher toute victoire électorale de la gauche, les gesticulations des histrions d'aujourd'hui, obsédés par le « grand complot arabo-musulman-intégriste » servent d'alibi aux Copé, Fillon et cie pour justifier la tentative d'instauration d'une loi liberticide, première étape d'un long chemin que l'on sait tracé pour en finir avec les acquis de 1789.

Aujourd'hui, Revel a été remplacé par des Elisabeth Lévy et des Eric Zemmour. L'ennemi n'est plus le rouge, venu de l'Est, mais l'Arabe, venu du Sud. Contre lui, se multiplient les mêmes anathèmes, les mêmes mise en garde. Afin de lutter contre cette nouvelle menace, nos Revel contemporains usent des mêmes méthodes que leur ancêtre en affolement des masses: « Cet ennemi est sournois, il vise à nous détruire, il use d'agents infiltrés, d'une cinquième colonne dissimulée sous des burqas. Son objectif ultime est notre destruction totale par l'asservissement etc ».

Ce mode de pensée, c'est à dire la stigmatisation permanente et renouvelée d'ennemis imaginaires, fantasmés, mais que l'on pare de tous les vices, de toutes les turpitudes, est toujours le prétexte à justifier le pire.

Les jugements de Roland Dumas, qui sait de quoi il parle parce qu'il l'a vécu, ne sont pas que de simples provocations ayant pour but de faire sortir de leurs gonds ses interlocuteurs délirants. Oui, ceux qui aujourd'hui voient dans la moindre manifestation d'une préférence vestimentaire une atteinte à leur narcissisme judéo-chrétien ou justifient des actes de violence illégitimes commis par un État au motif que tout cela relève du même combat contre une menace fantasmée, oui, ceux là raisonnent comme les représentants des dictatures du 20e siècle. Et comme le dit très bien Roland Dumas, on sait où cela mène.

Pour ma part, contemplant cet échange télévisé, je me suis senti aussitôt proche de Roland Dumas, malgré ses défauts, malgré les erreurs passées ; parce que je le devine attaché à une certain idéal hérité de la résistance, à une France respectueuse des enseignements de l'Histoire, parce qu'il incarne une France que j'aime, digne héritier de Talleyrand (et de la douceur de vivre) au ministère des Affaires étrangères. En revanche, Elisabeth Levy m'a paru être parvenue au bout de sa dérive droitière, de plus en plus perceptible au fil des ans, désormais porte drapeau des représentants de cette France un peu rance, toujours prêts à plonger le pays dans le chaos ou la division une fois qu'ils se sont trouvés un bouc émissaire, quelle que soit son origine, sa condition, son apparence, sa situation ou son état.

Du reste, il est tragique de constater que prise au piège par Roland Dumas sur France 3 l'autre soir, par le biais d'une argumentation qui ne la visait pas elle, en tant que personne, mais son mode de raisonnement, la seule réponse d'Elisabeth Lévy a été de formuler une menace physique à l'encontre de son contradicteur. Comportement tragique, pathétique, mais aussi, il faut bien le dire, la démonstration in vivo de ce à quoi mène la pensée profonde d'Elisabeth Lévy: la violence.
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