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Chronique de Lunatic
Il y a 12 ans
Voici la chronique du dernier album de Booba, Lunatic, par le site Chimères de Famille. Une très belle chronique qui m'évitera, à l'avenir, de devoir me justifier à chaque fois que je louerai, encore, cet Artiste. L'album est déjà dans les bacs, courrez l'acheter !

1 des ventes CD, N°1 des ventes digitales, N°1 des ventes I-Tunes (nouveau record de vente, précédemment détenu par Christophe Maé) et 10 titres dans le Top 100 singles.

Trêve de bavardages ! Place à la chronique :


Le dernier bouquin que j’ai lu, c’était au mitard. Ils te les amènent dans un chariot où il n’y a que des livres avec des chattes dessinées dessus, des pages qui manquent… Je crois que c’était une histoire de cafard géant. (rires)

Booba, Itw dans Métro (22/11/2010)


Du Coup d’Etat Phonique à La Cliqua en passant par le Beat 2 Boul’, Time Bomb jusqu’au 45 Scientific et le le 92i originel avec H2B, la trajectoire de Booba n’aura jamais supporté personne dans son sillon, au-delà même de son explosion en solo. Réveillé un beau matin de la moitié des années 90 – vers 15h – , il a connu la même destinée que le personnage de Gregor Samsa dans La Métamorphose de Kafka qui se lève singulièrement différent, avec un corps de cafard et qui va très rapidement se retrouver au centre de toutes les attentions, détesté et mis à l’écart alors que finalement, ce sont bel et bien « les autres » qui auront davantage changé que lui. Depuis « Cash Flow » en 1995, si le propos du métis café-crème n’a jamais dévié d’un iota de sa Sainte Trinité armes/putes/drogue, ce sont bel et bien ses auditeurs – parfois révisionnistes – qui ont mué, au sens hormonal du terme. Enfermé dans sa tour d’ivoire, Booba a bien essayé de laisser le digicode à ses théoriques rivaux pour qu’ils lui donnent le change mais le All In tenté à chacun de ses cinq albums est synonyme de délit d’initié à sa table de poker : il sait que le jeu des autres était/est/sera nettement moins bon que le sien. En roue-libre, Booba explose les contours du personnage qu’il s’était définitivement inventé lors de 0.9 pour ne pas s’ennuyer ad vitam aeternam. Ancienne moitié de l’hydre à deux têtes Lunatic qui s’assume « en rat des villes quittant le navire », le « schizophrénique » parle lui-même au personnage qu’il s’est inventé pour frayer dans le hors-piste et briser la routine en redoutable dealer de punchlines, poudre pure en octet qui aura rendu accroc bien des Jean-Luc Delarue des halls de la Grande Couronne aux fils à papa de tout l’Hexagone. Album anti-Eric Woerth avec qui il partage pourtant le goût des grosses coupures et des dons en liquide, Lunatic poussera bien des MC’s à prendre leur retraite anticipée avant leur 30e année et donnera une nouvelle fois de la colombienne à moudre aussi bien à ses détracteurs qu’à ses supporters.

Annoncé comme l’album d’une fin de cycle avec un retour à l’indépendance (avec pourtant Warner à la distrib’), ce nouvel opus porte en son titre le péché originel et les stigmates de la schizophrénie. L’œil braqué sur le rétro, le constat est simple pour le géant des Hauts-de-Seine : la concurrence est morte et l’émulation qu’il a connu à chaque fois au sein des collectifs qu’il a traversé ou même sur la scène rapologique de ses débuts (pêle-mêle Ärsenik, FF, Le Rat) n’existe plus. Ne restent que des acteurs mineurs ou dépassés qui gesticulent pour se faire entendre alors que l’intéressé n’a qu’à se gratter la tête au sens propre du terme pour déclencher un flot de paroles sur tous les forums et les cages d’escaliers d’Issy et de Navarre. Tous veulent tuer le père mais les pseudos enfants illégitimes du Kopp de Boulogne gigotent encore et s’entassent dans le même kleenex depuis quinze ans déjà… En gladiateur désabusé, Booba piétine et passe par l’épée tout ce qui passe à portée de cristallin, public, confrères, politiques et animateurs radios dans une outrance post-baroque encore jamais atteinte jusqu’ici en termes de densité.

Si les refrains autotunés ne font pas toujours leur retour avec bonheur (« Killer » porte bien son nom en l’occurrence), la direction artistique et la cohérence du disque frôlent la perfection avec le choix de beats usinés pour faire mal et faire danser aussi bien les convives pendant une réception crématoire (« Kojak ») que réussir à faire monter en pression Jean-Charles Skarbowsky au Lumpini Stadium (« Saddam Hauts-de-Seine »). Un univers sombre mais nuancé dont les richesses se révèlent à mesure des écoutes avec quelques respirations calibrées pour les radios et une apnée le reste du temps, l’enchaînement « Comme une étoile » et ses cinq premières notes de piano Ecole-des-Fanesque tournant vite en sonate testamentaire avant l’envol vers « Mon paradis », diptyque qui prolonge les exercices introspectifs débutés dans une autre vie avec « Le bitume avec une plume » et « Pitbull ».

Comme avec une impression de déjà-vu, les habitués retrouvent quelques personnages récurrents des épisodes précédents : Maître Lebraz devient « Yann » dans « Lunatic » avec Akon, Bertrand Cantat, Pokora/Diam’s/Sinik ressurgissent au détour d’une mesure, Le Rat Luciano rime une nouvelle fois avec « piano », les vertus des mecs du Luth sont encore à l’honneur, l’incipit de Pucc Fiction détourné 13 ans après ; Djé et son couplet en espéranto, Mala et ses accents de raï-man, Brahms et son couplet triennal qui lui assure deux taxes d’habitation d’avance ; la figure maternelle fait une discrète apparition au détour d’un refrain mais c’est bien celle du père qui traverse le disque par capillarité. Père absent réduit à portion congrue (« ‘Tu deviendras un Homme, mon fils’, ne m’a pas dit mon père » et « Fuck avoir un père, j’préfère qu’un gangster m’éduque ») et refus d’envisager sa propre paternité, B2O noie le poisson dans le clinquant et distille discrètement les allusions à ses proches, le portrait en creux dessinant finalement quelqu’un de plus complexe que ne l’autorisent ses fulgurances et ses éructations. Le jeu de miroir perpétuel renvoyant vers Mauvais Œil et Temps Mort tout au long du disque cache la véritable intention : l’invitation à aller chercher ce qui revient de droit à tout un chacun, entreprendre, dominer pour mieux récolter et jouir sans complexe et étaler le produit de son éjaculat sur le visage de la France. Un pied à Miami, l’autre à Paris, Elie Yaffa dispense les masques de beauté et apprend aux enfants de Pagny « à parler rebeu » en partageant avec lui son goût de la villégiature saisonnière hors du sol français.

Symbole de réussite discuté, Booba multiplie les tours du Colisée pour bel et bien nous montrer à tous qu’il règne en maître sur sa discipline mais, comme une malédiction, le gladiateur court finalement sans le savoir sur un ruban de Möbius où personne ne sera jamais en mesure de venir le contredire sans qu’il ne s’arrête de lui-même un jour. Un Roi sans Divertissement qui s’ennuie foncièrement après avoir atteint son but plus vite que prévu : contempler le monde du haut de ses collines de grosses coupures, thématique qui boursouflait déjà jusqu’à la nausée 0.9 et guette inlassablement la venue d’ennemis invisibles et peu ponctuels dans un remake au millimètre du Désert (Eagle) des Tartares.
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